Interview littéraire 2017 : Amélie Antoine

Je ne vais pas vous raconter ma vie. Mais je dois vous dire qu’un jour j’ai reçu un mail d’Amélie Antoine qui me proposait de lire son nouveau roman.

Vous vous doutez bien que je reçois nombre de messages dans le genre. Pourtant, celui d’Amélie Antoine m’a immédiatement touché. J’y ai vu une vraie sensibilité à travers ses quelques mots, et j’ai imaginé des choses que j’espérais pouvoir trouver dans son roman (et puis, on ne me parle pas en bien du dernier Hervé Commère dans le vide).

Que j’ai bien fait d’écouter mon instinct ! Quand on n’a que l’humour est un petit bijou d’émotions, et l’écriture de l’auteure est d’une rare empathie. Ça valait bien une interview en version longue. Un entretien à l’image du roman, touchant et vrai.

Lien vers ma chronique du roman

Merci d’avoir accepté mon invitation. Avant de commencer, qu’est-ce que je te sers à boire ?

Pour avoir l’air rock’n’roll, je pense que je devrais éviter de réclamer une infusion ou un sirop de violette, alors ce sera un thé, s’il te plaît.

Vert à la menthe, évidemment.

Comment ça, ce n’est pas rock’n’roll non plus ?

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, peux-tu te définir en trois mots, juste trois ?

Angoissée. Têtue. Impatiente.

L’aventure de ton précédent roman est assez extraordinaire ! Peux-tu nous raconter comment est arrivé ce succès étonnant pour « Fidèle au poste » ?

Tout a commencé par… plusieurs refus de maisons d’édition à qui j’avais envoyé mon manuscrit. J’avais donc rangé mon fichier au fin fond de mon ordinateur, et étais passée à tout autre chose. Jusqu’à tomber sur un article qui parlait de l’autoédition numérique. Un article qui m’a simplement donné envie de tenter ma chance, parce que je me disais qu’au pire, je déposerais mon roman sur la plateforme et il ne se passerait rien, et au mieux… Au mieux, il trouverait des lecteurs.

J’ai eu la chance incroyable que ce soit le « Au mieux » qui se produise, et que Fidèle au poste trouve 30 000 lecteurs en autoédition. Pas la peine de me demander d’explication, je n’en ai pas… !

Et après ça, signature d’un contrat avec les éditions Michel Lafon pour une sortie en librairie en 2016, traduction et sortie aux USA à l’été 2016, sortie au Livre de poche en février dernier, signature pour l’adaptation du roman au cinéma…

Résumer les choses ainsi, en quelques lignes, ça me fait soudain prendre conscience que ce parcours complètement fou. Comme je suis quelqu’un de très prudent, j’ai toujours tendance à relativiser les choses, à ne pas savoir les savourer au moment où elles arrivent. Je suis beaucoup dans l’avenir, parfois dans le passé, et finalement très rarement dans le présent. Mais quand on fait le bilan, ce premier roman a eu un parcours incroyable et une chance phénoménale.

Quand on est français, avoir son roman traduit en anglais est assez exceptionnel. Sais-tu comment il a été reçu aux États-Unis ?

Je ne l’avais pas anticipé à l’époque, mais il s’est avéré que les retours des lecteurs américains ont été très différents de ceux des lecteurs français, et les commentaires que j’ai pu découvrir sur le web disaient des choses que je n’avais encore jamais lues en France. Il y a une majorité de personnes qui ont aimé l’intrigue tordue de Fidèle au poste, mais celles qui ne l’ont pas appréciée l’ont fait savoir avec énormément d’émotions. Ces lecteurs ont trouvé abominable de s’être attachés à des personnages qui les ont piégés, d’avoir suivi une intrigue et d’avoir été amenés à un endroit où ils n’avaient aucune envie d’aller… Alors que c’était l’objectif même du roman, de balader le lecteur du début à la fin… !

En bonus, voici deux commentaires (opposés) de lecteurs américains que j’avais notés :

« It’s a shining example of the talent to be found in self-published work, especially when it isn’t filtered and blended by the needs of traditional publishing houses. »

(Ce roman est un brillant exemple du talent que l’on peut trouver en autoédition, quand les textes ne sont pas filtrés et mixés de façon à satisfaire les besoins des maisons d’édition traditionnelles.)

« It started out good, but then changed to very weird and disturbing. Reading it left me feeling very unsettled. Wish I hadn’t finished it. »

(Le roman commençait bien, mais ensuite, l’histoire est devenue très étrange et dérangeante. Quand j’ai eu fini de le lire, je me suis senti très mal à l’aise. J’aurais préféré ne pas le terminer.)

Et qu’en est-il de son adaptation cinématographique (encore un autre rêve assez fou) ?

C’est un producteur américain installé en Australie qui a pris contact avec moi après avoir lu Interference (la version US de Fidèle au poste). Il avait adoré le roman et voulait absolument en faire un film… On a signé une option il y a quelques semaines à peine ; maintenant la patience est de mise, car il faut en moyenne 5 ans pour qu’un projet de ce genre se concrétise. Fingers crossed ! Ce qui m’a plu, c’est avant tout la personnalité de ce producteur/réalisateur. On a eu beaucoup d’échanges sur la manière de transposer l’histoire de Chloé, Gabriel, et Emma, et j’ai trouvé ses idées et propositions à la fois pertinentes et créatives. C’est surtout ça qui m’a donné envie de travailler avec lui, je fonctionne beaucoup au feeling (même si je me trompe parfois) et à cette impression un peu diffuse d’avoir à faire à quelqu’un de bien…

Passons au plat de résistance. Si tu avais le choix, qu’aimerais-tu partager comme plat, tout de suite ?

Étant donné que je viens de prendre mon petit-déjeuner au moment où je réponds à cette interview, je t’avoue que j’ai du mal à penser à un plat 😉

Parlons de ton nouveau roman « Quand on n’a que l’humour ». Si tu devais nous le présenter avec tes propres mots…

Quand on n’a que l’humour, c’est l’histoire d’Édouard Bresson, un humoriste au sommet de la gloire, adulé et admiré de tout le monde. Le roman commence au moment où lui s’apprête à donner le spectacle le plus fou de sa carrière : le Stade de France, plus de 50 000 personnes qui trépignent de l’autre côté du rideau et qui n’attendent que lui. Lui est en coulisses, il entend les clameurs monter, enfler, et quand il entre enfin sur scène, la première chose qu’il remarque, c’est un fauteuil vide au premier rang.

Ce fauteuil, c’est celui qu’il réserve à chaque fois pour son fils, Arthur. Celui qui reste toujours inoccupé parce qu’il est brouillé avec lui depuis des années.

Quand on n’a que l’humour, c’est l’histoire d’une star, mais surtout, c’est l’histoire d’un père qui voudrait désespérément renouer avec son gamin et qui ne sait plus comment s’y prendre pour rattraper ses erreurs. C’est l’histoire d’un mec qui a tout fait pour se hisser au firmament et qui se rend compte, une fois au sommet, que non seulement il est tout seul, mais qu’en plus, en bas, personne ne l’a attendu, personne n’est plus là pour le contempler avec fierté et amour.

C’est l’histoire d’un homme qui a tout, absolument tout. Sauf l’essentiel…

C’est un risque que de passer du thriller à un roman qui dont le style n’a rien à voir ?

D’un point de vue « commercial », sans doute. Beaucoup de personnes aiment bien coller une étiquette à un auteur pour pouvoir le situer, se sentir en sécurité, en confiance. Savoir à l’avance dans quel univers on va plonger.

Indépendamment du fait que je ne suis toujours pas convaincue que Fidèle au poste soit vraiment un thriller, je dirais que ma passion, bien plus que d’écrire, c’est de raconter des histoires. Il est probable que le seul point commun entre les cinq romans que j’ai pour l’instant écrits soit la tonalité sombre. Pour le reste, on peut être dans de la littérature générale, du roman noir, peu importe.

Je suis consciente du risque commercial, mais tant pis. Si je devais commencer à me formater, à me fondre dans mon propre moule, je ne pourrais plus écrire parce que ça m’ennuierait profondément. Alors advienne que pourra… !

J’ai été particulièrement frappé par ton empathie hors-norme envers tes personnages. Tu es comme ça dans la vie ?

Je doute que je sois la mieux placée pour répondre, mais je crois que oui. Je ressens en permanence non pas les émotions des autres, mais celles que je ressentirais si je devais être leur place. Et franchement, c’est usant. Il est probable que cette empathie soit un vrai cadeau pour l’écriture, pour créer des personnages crédibles, des histoires justes, mais au quotidien, avoir une sensibilité aussi exacerbée, c’est une autre paire de manches…

C’est à la fois un livre lumineux et mélancolique. Il est extrêmement touchant mais sans que tu ne tombes jamais dans le piège du trop larmoyant. Tu as fais attention à ça en l’écrivant ?

Non. Je ne me pose jamais cette question. Même en écrivant Au nom de quoi, en ayant en arrière-plan cette impression de marcher sur des œufs, je ne me suis jamais posé la question. Et pour être sincère, je suis incapable de dire quelle est la frontière à ne pas dépasser pour ne pas sombrer dans le pathos ou le grandiloquent. J’ai seulement le sentiment de raconter une histoire, de mettre en mouvement des personnages qui ont une existence propre…

Où puises-tu toutes ces émotions qui sonnent si juste ?

Je crois que ma première tâche, avant d’écrire, c’est de me mettre à la place de mes personnages. Je ferme les yeux, j’imagine être eux, être confrontée à ce qu’ils doivent eux-mêmes affronter. Et je ressens ce qu’il y a à l’intérieur d’eux. Le chagrin, la colère, la jalousie, l’amour, la bienveillance. Je ressens et il n’y a plus qu’à mettre en mots en essayant de ne surtout pas les trahir.

Ce blog est fait de mots et de sons. La musique tient-elle une place dans ton processus créatif ?

Je n’écris qu’en silence, sinon je suis incapable de me concentrer.

Par contre, il m’arrive très souvent de laisser divaguer mon esprit en musique quand je suis dans la phase de préparation de l’intrigue (qui dure plusieurs mois avant l’écriture en elle-même), particulièrement quand je suis en voiture ou que je mets mon mp3 dans la rue ou les transports en commun. Et là, parfois, au détour d’une chanson, il se produit un déclic…

Et pour terminer, je t’invite à choisir ton dessert préféré…

Sans hésitation, un Magnum double caramel 😉



Catégories :Interviews littéraires

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21 réponses

  1. Stef Eleane – Ouverture d'âme et de cœur sur mes lectures

    Quelle merveilleuse rencontre avec cette auteure. Merci Yvan 😊 il faut que je me trouve ce bouquin, c’est tout ce que j’aime…

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Oh oui tu vas adorer ! Oui, une belle rencontre virtuelle, qui deviendra réelle à Saint Maur en poche cette année

  2. Une belle personnalité cette auteure, ça donne envie de lire ses deux bouquins !
    Merci pour la découverte.
    Liliane.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Oui ses réponses donnent envie de se plonger dans ses univers

  3. encore une superbe rencontre, merci Yvan. Ça va encore faire monter ma PAL 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est pour la bonne cause 😉

  4. jostein59 – Rédactrice du blog Sur la route de Jostein depuis 2010, je lis surtout des romans contemporains.

    Il est vrai qu’en quelques mots sur un mail, un auteur fait la différence auprès des lecteurs blogueurs. Question d’affinité comme pour un roman d’ailleurs. C’est une belle découverte et un sympathique entretien.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Exactement. Il suffit de pas grand chose, mais ça peut changer beaucoup

  5. Je suis en train de lire le livre de Amélie et comme tu l’avais bien dit : Florent en connaissant ta sensibilité ce livre Va te plaire ….
    Je suis dans la 2eme partie , et c’est excellent !!!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Eheh, je ne me suis pas trompé 😉

  6. Alors là, cette auteure, je pense qu’elle ne va pas tarder à rentrer dans mon planning! 😉 Super interview, et des livres qui me tentent bien….;)

  7. Le Cygne Noir – Chronique de livres >Thrillers | Polars | Romans noirs | Littérature française | Fantasy | SF

    Très belle interview ! Ces mots m’ont décider à lire Amélie Antoine 😉

  8. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Je le veux ! Depuis le temps qu’on m’en parle en bien 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Et c’est un livre qui veut ton bien, tu verras

      • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

        J’ai déjà entendu ça… mdr

  9. Elle nous donne vraiment envie de rentrer dans son univers ! Si seulement je pouvais recevoir des messages comme ça 😉

  10. Superbe interview…je pense que je vais essayer de trouver « Quand on n’a que l’humour »…je connais un pèere dans cette situation 🙁 merci Yvan et bonnes lectures à tous

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Oui, l’interview est magnifique à l’image du livre. Au plaisir !

Rétroliens

  1. Quand on n’a que l’humour – Amélie Antoine – EmOtionS – Blog littéraire et musical
  2. Livre : La chronique d'Yvan Fauth - Quand on n’a que l’humour - Les déblogueurs

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