Interview – 1 livre en 5 questions : Le carnaval des hyènes – Michaël Mention

1 livre en 5 questions

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre. 5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.

Michaël Mention

Titre : Le carnaval des hyènes

Sortie : 08 juillet 2015

Éditeur : Ombres Noires

Lien vers ma chronique du roman

Certains pensent que tu ne parles que d’événements du passé dans tes différents romans. Le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci tord le cou à cette idée puisqu’il est d’une actualité brûlante…

On est en France, le pays des étiquettes ! À partir de Sale temps pour le pays, certains m’ont perçu comme un romancier spécialisé dans l’Histoire, mais j’ai toujours diversifié mes sujets. Quand j’étais ado, mes BD oscillaient déjà entre humour, polar, fantastique.

J’ai écrit ce roman car la télévision est au cœur de notre époque, de nos vies. On a tous un rapport intime à la télé : on peut la regarder un peu, beaucoup, en posséder une pour mater des films, s’enorgueillir de ne pas avoir d’écran chez soi (« Depuis que j’ai jeté ma télé, je suis libre » et autres conneries)… comme des millions de gens, j’ai grandi avec la télé et je l’ai vue évoluer, régresser. Oui, la plupart de ses programmes sont débiles mais non, il n’y a pas que de la merde. La même nuit, tu peux tomber sur un doc animalier passionnant, un super concert ou un reportage sur la nouvelle ruée vers l’or à Fort McMurray.

En ce qui concerne le roman, la première version date de 2004 mais elle était trop ironique, pas assez maîtrisée. Je l’ai affiné environ tous les deux ans pour durcir le ton, équilibrer satire et suspense. Sans compter que le P.A.F. évolue de plus en plus vite. J’ai donc adapté régulièrement le récit à cet univers si particulier, fait de contrastes et contradictions. Des notions qui m’inspirent, d’où Jeudi noir et aujourd’hui, Le carnaval des hyènes.

Avec ce roman, tu tires à boulet rouge sur nos médias actuels…

La sphère des médias est à part, comme la politique. C’est un monde codifié, propice au roman noir, et c’est toujours amusant de dézinguer les codes. Pour la première fois, mon personnage principal n’est pas un mec intègre, mais une star égocentrique. Carl Belmeyer incarne le système médiatique dans toute sa dureté, son impunité. Toutefois, on peut respecter son expérience et lui trouver – entre deux avis puants – un regard pertinent sur l’actualité.

Ce qui m’intéresse, c’est comprendre comment il a trahi le jeune idéaliste qu’il était et, à travers lui, comment la plupart des médias en sont arrivés à nous prendre pour des cons. Exemple : il y a deux jours, je zappe et tombe sur un débat entre « spécialistes » qui blablataient au sujet de la Grèce. Le thème était « Tsipras : résister mais à quel prix ? » Tout est dit. À travers l’intitulé, un axe d’interprétation nous est imposé.

Je ne suis pas complotiste, j’essaie juste de comprendre une démarche qui m’irrite autant qu’elle me stimule. Pourquoi ne pas intituler le débat « Tsipras : la Grèce s’émancipe » ? Que penser du peu de temps consacré au sujet ? De l’objectivité dont se réclament ces journalistes ? De ces intervenants récurrents ? Et surtout, la notion de débat existe-t-elle encore aujourd’hui ? Avant d’être écrivain, je suis un citoyen, comme tout le monde. J’ai donc des opinions, bien que je revendique une indécision sur des sujets que je maîtrise peu ou qui ne m’intéressent pas, alors que certains ont un avis sur tout… ce dont je me méfie.

Le carnaval des hyènes n’est pas qu’une diatribe contre les médias, c’est aussi un vrai roman noir, de plus bourré d’action…

C’est surtout un roman noir. Ce qui est sidérant avec les médias, c’est leur incapacité à se remettre en question alors qu’ils ont une énorme responsabilité dans le merdier ambiant. Quand on parle en permanence d’insécurité de manière grossière, sans la moindre intelligence, ça finit par orienter les subjectivités des uns et des autres. Mais ça, visiblement, le CSA ne s’en inquiète pas.

Tout ça étant insupportable, j’ai conçu le roman comme un bouquin punk, moqueur. Une farce sur la décadence d’un puissant et du système qui l’a sacralisé. Cette chute induisait de la tension, de la violence. La vie de Carl était confortable, elle devient dangereuse. J’ai revu les films Network, Les patriotes, Casino Royale, L’impasse… après avoir passé trente ans assis aux commandes du JT, je voulais que Carl soit amené à courir, sauter, redouter le moindre son.

Enfin, et j’y tenais particulièrement, je voulais des moments où il ne se passe rien. Contrairement aux idées reçues, le monde du Renseignement n’a rien de trépidant et des agents peuvent passer une journée à attendre un coup de fil. Et l’ennui, pour une star comme Carl, c’est une mise à l’épreuve. Du début à la fin, c’est un roman sur la survie dans les jungles de la télé et de l’espionnage.

On sent que tu t’en es donné à cœur joie avec ce nouveau roman, la bride est clairement lâchée 😉

Aujourd’hui, tout transite par la télé. Un jour, t’es un génie. Le lendemain, t’es un has been. Récemment, on m’a dit « C’est pas avec ça que tu seras invité chez Ruquier ». Comme si mon objectif, mon rêve, était de passer à la télé. Si j’y suis invité, j’irai mais ce ne serait pas un accomplissement personnel.

Et puis, on vit dans un drôle de monde : Sarko est censé avoir changé, Valls serait socialiste, Soral serait un rebelle et nous aurions pour intellectuels des BHL, Zemmour, Attali … et toutes ces « vérités » sont relayées par les médias dominants, télé et presse. Certains résistent encore et l’Acrimed fait un boulot essentiel, mais la marche générale est conforme à notre monde soumis à l’ultralibéralisme : pourquoi s’emmerder à démêler le vrai de l’artifice quand on peut faire du buzz ? Car le buzz, c’est le fric et que le fric, c’est le pouvoir. Et puisque les médias sont intouchables, tout ce qu’on peut faire, c’est se foutre de leur gueule. Même si c’est vain, ça soulage.

Comment as-tu travaillé cette intrigue, entre documentation et trouvailles d’écriture ?

Livres, documentaires, rencontres, notamment avec une journaliste de l’AFP. À ma question « Si l’AFP se trompe sur la véracité d’une info, quelle est la procédure ? », elle m’a répondu « On ne se trompe jamais, jeune homme »… c’était avant que l’AFP n’annonce la mort de Martin Bouygues, à tort.

Pour l’intrigue, j’ai contacté Gérald Arboit, auteur d’excellents ouvrages sur la question et directeur de recherches au Centre Français de Recherche sur le Renseignement. Grâce à lui, j’ai pu crédibiliser mon traitement de l’espionnage. Certains le trouveront sans doute caricatural, comme celui de la télé, et pourtant : bien que Le carnaval des hyènes soit une pure fiction contrairement à mes autres romans, il est paradoxalement le plus réaliste. Les reportages bidons, les filatures, la gestion des imprévus… tout ça est vrai ou l’a été. Pareil pour ma vision de Moscou, où j’ai tenu à rétablir certaines vérités. Notamment le fait que les manifestations n’y sont pas interdites, même si ça finit souvent par cogner.

Quant à ce que tu appelles « trouvailles », je fais de mon mieux. À chaque roman, je repense mon rapport au sujet, au rythme, au sensoriel. Depuis Adieu demain, j’apprends à me faire de plus en plus confiance, mon écriture se durcit et s’humanise. J’ai déjà hâte de partager le prochain roman avec vous.

Michaël Mention, durant le salon du polar de Mulhouse, le Festival sans nom en 2014



Catégories :Interviews littéraires

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17 réponses

  1. Wow !!! Sacrée interview !!!! 🙂
    Avec « Adieu demain » qui m’avait sacrement secouée, je n’ai qu’une envie me replonger dans son univers. Et ce « Carnaval des hyènes m’a l’air bien glauque mais son analyse de la télé me plait vraiment bien….
    Merci Yvan . Mais là, ma Pal, elle s’allonge, s’allonge… 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Il de lit très vite, Muriel, il est parfait pour s’intercaler entre les autres 😉

  2. Franchement rien qu’avec cette interview, ca donne envie de se jeter sur le bouquin!!!!!!!J’ai hate de voir son avis sur la télé et ses dérives…….Merci pour ce bon moment accompagné d’un café, il passe bien!!!!!
    Je note de découvrir cette auteur dans l’année…….;)

  3. Vincent Garcia – Montpellier

    Excellente interview de ce jeune homme décidément très attachant, en plus d’être talentueux. J’ai beaucoup apprécié ses précédents romans, « Sale temps pour le pays » et « Adieu demain ». Encore « Jeudi noir » à lire… Il devrait logiquement en être de même pour celui là. 🙂

  4. Smadj – Plus que des quatrièmes de couverture, plus que des résumés de films, c'est de la passion et de l'émotion que vous découvrirez ici.

    Ah oui ça donne terriblement envie cette interview. Ça a l’air Loud comme bouquin 🙂

  5. Est-ce-que…j’ai un truc à rajouter ? Non ! C’est parfait comme d’habitude ! Mais que ferais-je sans toi…mon cher Yvan !!! Arf !

  6. Super, Mailleki. Respect, poto. La bise, blogueurs 😉

  7. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Lui, je le fous direct dans mon caddie !! Vendredi, petit tour dans mon antre de perdition et hop, in ze pocket !

    Merci pour cet interview aussi épais qu’un roman, aussi fort qu’un café et aussi bon que Michael Mention (je parle de ses romans, son écriture, son style et son parler… ceci n’est pas sexuel !!).

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Tu as tout bien résumé, y compris le dernier point, nous n’avons pas d’infos à ce sujet 😉

      • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

        Aucune info non plus, mais cela ne m’empêche pas de vivre bien avec cette interrogation qui n’en est pas une puisque, de ce point de vue là, les hommes font souvent dans la surenchère….

  8. Salut Yavn, superbe interview. Je retrouve à la fois la précision de tes question, leur justesse, et je retrouve l’honnêteté et l’humanité de Michael. Je lis son roman ce week end, sans faute. Chapeau à tous les deux. A noter que ce roman a reçu un coup de coeur chez Claude Le Nocher avec un article d’une rare justesse. Amitiés

  9. Intelligent, attachant et généreux. Ca résume bien le personnage je pense.
    Le sujet me tente vraiment beaucoup, je rejoins Michael sur la responsabilité des médias quant à certains faits d’actualité récents….

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      tu as tout bien résumé !

  10. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    J’adore cet exercice, mais là j’ai peur d’en découvrir trop avant d’avoir lu le livre.
    Alors je vous lirai messieurs une fois que je me serais fait une opinion sur ce titre.
    A bientôt donc 🙂

  11. Je ne sais pas pourquoi mais je suis très tentée…..

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      étonnant, ce n’est pas ton genre habituel 😉

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