Carte blanche à : Ian Manook (2015)

Nous sommes Charlie - Le livre de pocheLorsque l’on offre une carte blanche à un auteur, par définition on ne sait jamais à quoi s’attendre.

Ma proposition est tombée à un moment particulier de la vie de Ian Manook, et de la vie de la nation aussi.

L’auteur aurait pu nous parler de son nouveau roman qui vient de sortir, Les temps sauvages, deuxième aventures de Yeruldelgger. Il a souhaité proposer tout autre chose.

Nous parlerons ensemble de ce magnifique nouveau roman sur une autre page de ce blog. Pour l’heure, suite aux terribles événements de début janvier 2015, il nous présente ici le texte qu’il a proposé dans le cadre du recueil Nous sommes Charlie qui sort le 05 février 2015 chez Le livre de poche. Un recueil de textes dont les bénéfices seront reversés à Charlie Hebdo.

Une immense et sincère merci à Ian Manook de partager avec nous cet émouvant texte, à la fois très personnel et universel.

Le texte :

Maman est morte le 8 janvier et je n’ai pas beaucoup pleuré parce que c’était dans l’ordre des choses. Mourir à 88 ans, avant tous ses enfants, après une longue vie sans trop de grands malheurs, dans son sommeil, sans trop souffrir, c’est dans l’ordre des choses.

La veille, douze personnes sont mortes dans l’attentat contre Charlie Hebdo, certaines que je connaissais et d’autres pas, et j’ai beaucoup pleuré parce que ça, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Mourir pour un dessin ou sur l’ordre d’un Dieu, ce n’est pas dans l’ordre des choses.

Par chance maman était déjà ailleurs ce jour-là. Elle n’en a rien su et nous ne lui avons rien dit. Comment aurions-nous pu la laisser partir dans le fracas d’une telle horreur ? Nous avons préféré lui laisser croire qu’elle nous léguait un monde meilleur. Qu’elle n’avait pas à s’en faire pour nous et que tout allait bien. Que notre vie serait belle quand même, même sans elle.

J’espère qu’elle est partie en le croyant.

Parce que maman était croyante. Sa foi était un pilier de sa vie. Elle priait pour tout et pour tous. Elle priait pour l’Afrique et pour que j’obtienne mon BEPC. Elle priait pour nous dès que nous passions la porte. Et nous sommes partis si souvent et si loin. Si loin d’elle, et moi si loin de son Dieu aussi. Mais peu lui importait. Puisqu’elle priait pour nous, nous étions protégés.

De cette foi qu’elle a toujours gardée et que j’ai perdue, j’espère qu’il en reste malgré tout encore un tout petit peu en moi. Assez pour croire très fort que personne ne l’a trompée, ni sur terre, ni au-delà. Elle y a tant cru, toute sa vie, de toute son âme, qu’elle mérite que ça soit vrai. Que là où elle a toujours rêvé d’aller après, elle y est déjà aujourd’hui, auprès de celui qu’elle a toujours aimé. Notre père. À nous, ses enfants.

Aujourd’hui j’ai envie de pleurer, et c’est pour maman et Charlie à la fois. L’ordre des choses a fait que désormais, chaque année à la même époque, leur souvenir commun tissera ma tristesse et mon chagrin. Je me souviens du jour où j’ai rapporté Charlie à la maison pour la première fois, quand il était encore Hara-Kiri. Maman a parcouru, d’un œil effaré, tous ces dessins terribles qui se moquaient en traits vulgaires de toutes ses valeurs et de chacune de ses certitudes. Puis elle a levé les yeux au ciel pour prendre son Dieu à témoin. Mais pas pour lui demander de punir ces trublions blasphémateurs. Pour lui demander de tout leur pardonner. Ce qu’ils avaient fait, et ce qu’ils allaient continuer à faire.

On porte en terre, aujourd’hui même, une partie de la bande à Charlie. Peut-être maman va-t-elle les croiser quelque part. Nul doute alors qu’elle leur pardonnera à nouveau. Je suis même certain qu’elle se portera volontaire pour devenir leur dame catéchisme. Bien fait pour eux ! Puis elle leur servira un goûter comme font les vieilles mamans aux copains un peu voyous de leur fils qu’elles aiment bien quand même, et les saoulera comme elle nous a toujours tous saoulés ici en racontant pourquoi elle est fière de ses enfants, les plus courageux, les plus beaux et les meilleurs.

Alors nous devons à maman et à Charlie d’être et de rester les plus beaux, les plus courageux et les meilleurs et, si nous ne le sommes pas, d’essayer de le devenir. Sans rien abandonner de ce qui faisait, même en secret, qu’ils étaient aussi fiers de nous que nous le resterons d’eux.



Catégories :Littérature

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25 réponses

  1. Quel texte !
    Merci de le partager avec nous.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui, je ne remercierai jamais assez l’auteur pour ça, quel beau partage qu’il fait avec nous !

  2. Smadj – Plus que des quatrièmes de couverture, plus que des résumés de films, c'est de la passion et de l'émotion que vous découvrirez ici.

    Superbe texte aux contours émouvants…
    Merci Ian et merci Yvan 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      oui merci Ian ! 😉

  3. Rien de mieux à dire…c’est très émouvant. .

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      l’homme est aussi passionnant et touchant que l’auteur ! Un mec bien

  4. Magnifique , poignant , et si vrai! Une merveille de tolérance !!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      tu as tout dit Jean-Michel ! merci

  5. Un texte très émouvant! Merci pour ce partage! 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      merci à toi de venir le partager avec nous tous 😉

  6. Un très beau texte. Je vais acheter le livre. Merci pour l’avant première. 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Avec grand plaisir ! Oui, on va l’acheter (5 € c’est rien et pourtant c’est important)

  7. Quel texte super émouvant…j’en ai les larmes aux yeux!!!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Magnifique hein. Oui si vrai et si touchant

  8. Ça prend aux tripes, très émouvant. Merci !!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      comme tu dis, Mehdy…

  9. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Très joli texte et j’espère que Là-Haut, maman Manook tire les oreilles de nos chers trublions. 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      mais pas trop fort 😉

      • belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

        Non, gentiment !! 😉

  10. Très belle hommage.
    A une mère qui a su élever ses enfants dans l’amour et la fraternité.
    A Charlie qui a permis à ces enfants de devenir à leur tour  » des trublions blasphémateurs ».
    Et si Dieu, quel qu’il soit n’était que tolérance et pardon.

Rétroliens

  1. Yeruldelgger, les temps sauvages – Ian Manook | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  2. Interview – 1 livre en 5 questions : Yeruldelgger, les temps sauvages de Ian Manook | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  3. 60 écrivains unis pour la liberté d’expression : Nous Sommes Charlie | What a path we made.
  4. Carte blanche à : Nathalie, du blog Sous les pavés… la page – EmOtionS – Blog littéraire et musical
  5. Rétrospective – Sous les pavés…..la page

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