Interview – 1 livre en 5 questions : Jeudi noir de Michaël Mention

1 livre en 5 questions

1 livre et 5 questions à son auteur, pour lui permettre de présenter son œuvre. 5 réponses pour vous donner envie de vous y plonger.

 

Sortie : 05 novembre 2014

Éditeur : Ombres noires

Ma chronique du roman

Salut Michaël ! Vu ton âge, tu n’as pas pu vivre cet événement sportif en direct. Qu’est ce qui t’a poussé à te plonger dans cette aventure-ci en particulier ?

Salut Yvan. En effet, je n’ai pas vu la demi-finale France-RFA en direct, car j’avais 3 ans lorsqu’elle a eu lieu. Comme tous ceux de mon âge, j’ai toujours entendu parler de ce match et d’un « problème » entre deux joueurs … tout ça était vague et je n’ai jamais cherché à en savoir plus, car le football ne m’intéressait pas spécialement. Je n’étais donc pas prédisposé à écrire sur ce sport et, franchement, j’en suis le premier surpris. 

Fils de Sam était sorti, je venais de boucler Adieu Demain et j’avais décidé de faire une pause après trois ans d’écriture non-stop. Une nuit, je suis tombé sur une émission télé consacrée à Platini. Il y a évoqué ce match, en insistant sur son aspect émotionnel. Je me suis dit « Il serait temps de la voir, cette demi-finale ! » Je l’ai visionnée sur Youtube et ça a été un choc : trente-deux ans après, j’ai découvert un match qui avait tout d’un thriller avec un rythme d’enfer, de nombreux coups de théâtre et une exceptionnelle dramaturgie. Un paquet de cigarettes plus tard, j’ai revu le match pour le découper en chapitres, puis j’ai entamé la rédaction dès le matin. Je n’ai jamais été autant obsédé par un sujet : à travers ce match, j’ai tout de suite senti que je pouvais écrire sur l’époque, l’Histoire …

Jeudi Noir est avant tout un roman noir, doublé d’un hommage à ce qu’était le foot avant qu’il ne soit « pognontisé » : aujourd’hui, sa mutation est telle que les médias nous parlent davantage de la coupe de cheveux des joueurs que de leurs compétences. Cet été, pendant la Coupe du Monde, j’ai vu une pub du genre « Découvrez en exclu la musique qu’écoute Benzema », mais on s’en fout ! Tout ça est symptomatique d’un monde qui se cherche à travers le sacré, de footballeurs-modèles en politiciens-sauveurs.

Il semble que tu voulais vraiment être au cœur de l’action, pour raconter cette histoire…

Par le biais de Jeudi Noir, j’ai eu la possibilité d’écrire un roman d’action, ce que je n’avais encore jamais fait. Mon influence de base est L’enfer du dimanche d’Oliver Stone. Ce n’est pas son meilleur film (je lui préfère JFK, un pur chef d’œuvre) mais il y montre bien ce que le football américain représente pour son pays et ce qu’il est devenu : une orgie de violence et de fric, qu’il dépeint à la manière des jeux du cirque.

J’ai abordé la demi-finale France-RFA sous cet angle, vu ses enjeux dramatiques. Ce qui est stupéfiant avec ce match, c’est que tout ce qui s’y déroule est intense, absolu. Les enjeux pour chaque équipe, le talent de leurs joueurs, une agression unique dans l’histoire du foot … le traitement devait être adapté à l’événement, ce qui induisait une narration vive et syncopée afin de traduire au mieux la respiration effrénée des joueurs et l’atmosphère de folie dans le stade.

Quant au point de vue, il était hors de question de l’attribuer à Rocheteau et aux autres. Le roman étant un hommage aux joueurs des deux équipes, je ne pouvais pas leur prêter des intentions et pensées qu’ils n’ont jamais eues. J’ai donc imaginé un douzième joueur fictif au sein de l’équipe de France, ce qui m’a permis d’avoir une totale liberté de ton dans l’orientation « noire » du récit.

Ce livre est bien davantage que le simple récit de ce match historique. Qu’as-tu voulu faire passer à travers cet étonnant OVNI littéraire ?

Dès le début, il m’a semblé évident qu’il fallait m’approprier le match : me contenter de le raconter aurait été facile et surtout obsolète. Ce qui est intéressant quand on écrit à partir de faits réels, c’est qu’on peut se les approprier (sans les trahir, bien sûr). J’aime l’idée de réinventer un fait connu de tous, de « tordre » un événement pour voir ce qu’il peut générer dans le bon comme le mauvais.

Pour Sale temps pour le pays, je suis parti de l’affaire sur L’Éventreur pour évoquer l’Angleterre en crise, l’enquête qui m’a inspiré Adieu demain m’a permis d’aborder le sujet de la peur, Fils de Sam était surtout une évocation de l’Amérique des 70’s et – une fois de plus – le point de départ de Jeudi Noir n’est qu’un prétexte pour aborder d’autres thématiques, historiques et sociologiques.

Quant à ce que j’ai voulu faire passer, c’est que nous sommes tous susceptibles – dans un contexte particulier – de basculer dans le vice. Hélas, comme tu le sais, cette idée est rarement abordée dans notre société où perdure le clivage bien/mal, réducteur et par conséquent dangereux.

Le travail de recherches a dû être conséquent. Peux-tu nous en parler un peu ?

Deux excellents livres m’ont aidé à comprendre ce qu’est le foot, sport populaire par excellence : Séville 82 de Pierre-Louis Basse et Galaxie Foot d’Hubert Artus, une « bible » du ballon rond. Par ailleurs, je me suis beaucoup documenté (biographies, interviews, autres matchs célèbres) et j’ai également contacté des journalistes sportifs, qui m’ont permis d’affiner mon propos. J’ai ensuite épuré l’aspect technique afin que le roman ne s’adresse pas uniquement aux fans de foot mais à tous les lecteurs.

En ce qui concerne les recherches historiques, c’est allé très vite. 1982 est une année riche en contrastes, notamment avec Mitterrand et ses contradictions. Cette année marque une transition, celle d’un monde en passe de basculer dans le libéralisme que nous connaissons/subissons aujourd’hui. Puis, il y a le passé guerrier entre la France et l’Allemagne ; lien traumatique qui a été réactivé par l’acte d’anti-jeu d’Harald Schumacher.

Toutefois, j’avais à cœur de ne pas résumer ce match à l’agression de Battiston. Ça aurait été racoleur, totalement déplacé vis-à-vis de lui et ses proches. C’est pour ça que le roman prend vite une autre tournure et que le sentiment de haine évolue …

De part sa construction très originale, tu as dû rencontrer quelques difficultés pour équilibrer ton récit, non ?

La seule difficulté était celle inhérente au roman, à savoir la question du rythme. Le match France-RFA étant un festival ininterrompu d’actions, j’ai eu peu d’ellipses à faire. Il a fallu les doser afin de gérer l’équilibre action/intime/Histoire/culture mais, encore une fois, j’ai tout de suite eu une idée de ce que devait être Jeudi Noir.

En ce qui concerne la construction, j’ai testé des choses comme j’aime de plus en plus le faire. En ça, mon rapport à la musique n’a jamais été aussi « poussé ». J’ai toujours rêvé de débuter un roman avec la version live d’Highway Star de 72 et là, elle avait pleinement sa place dans Jeudi Noir. L’intro met sept secondes à démarrer et c’est le temps qu’il a fallu aux Allemands pour prendre le contrôle du match (j’ai chronométré !). J’ai fonctionné ainsi pour les autres chansons : dans le texte et la mélodie, chaque morceau cristallise les diverses étapes du match au point que – dans le dernier tiers – la musique perd en rock et gagne en « bizarre » d’où la présence d’un groupe comme Art Bears.

Le match France-RFA étant un patchwork d’émotions, j’ai veillé à ce que le roman soit hétéroclite et l’équipe d’Ombres Noires m’a encouragé dans cette démarche. Un éditeur avec lequel je me réjouis de collaborer, en complément de Rivages. Voilà, merci pour l’interview et rendez-vous en 2015 pour le prochain roman !

 



Catégories :Interviews littéraires

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15 réponses

  1. Je vais peut-être bien le lire cette semaine celui là ! cela me rappelle trop de souvenirs … et d’émotions ! Amitiés

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Tu es comme moi mon pote ;-). Sauf que Mention en a eu une vision bien différente de nous à le regarder 30 ans après 😉

    • Ah oui, Pierre, fonces et rejoue le match. C’est de la bombe. 😉

  2. J’étais pas née, je m’interresse moyen au foot donc il est normal que je sois passée à coté de celui ci….Et pourtant, je suis curieuse de voir ce que l’auteur peut en faire…J’irai peut etre rectifier le tir en regardant au moins cette fameuse demi-finale sur youtube …..;)

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est tout le talent de Mention 🙂

  3. belette2911 – Grande amatrice de Conan Doyle et de son "consultant detective", Sherlock Holmes... Dévoreuse de bouquins, aussi ! Cannibal Lecteur... dévorant des tonnes de livres sans jamais être rassasiée, voilà ce que je suis.

    Y m’énerve !! Voilà que tu me donnes envie de braquer une librairie ce soir pour m’approprier le roman sans attendre ! 👿 Pas grave, Michaël pourra se vanter, comme Yan Manook, d’avoir été offert en cadeau d’anniversaire 😉

    82… j’avais encore les culottes courtes et aucun match de foot n’était regardé à la maison, mon père détestant ça ! 😀 Je devrais peut-être regarder la demi-finale sur You Tube, mais on va me prendre pour une malade ! 😛

  4. C’est vrai que la musique a une place importance dans le rythme de ce roman. Et sa play list n’est pas pour me déplaire. 😉
    Bravo et merci à vous deux pour cette entrevue.

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      😉
      foot et rock’n’roll, qui l’eut cru ? 😉

  5. Collectif Polar : chronique de nuit – Simple bibliothécaire férue de toutes les littératures policières et de l'imaginaire.

    Punaise, j’ai adoré ce titre. C’est un génie ce Michaël !
    Et j’adore ton 5/5 😉

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Je suis bien d’accord 😉

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