Yannick Monget vient de sortir “Résilience”, un incroyable thriller d’anticipation sur fond de nucléaire.
Non seulement son roman est brillant, ludique mais en plus il fourmille d’informations sur le nucléaire. Ou comment concilier distraction et réelle prise de conscience.
Un roman INDISPENSABLE, accessible, à mettre entre toutes les mains.
Un très grand merci à Yannick Monget pour avoir répondu à ces questions de manière aussi développée. Tout simplement passionnant !
Ma chronique de “Résilience” :
Question rituelle pour démarrer mes entretiens, pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?
Passionné, acharné, persévérant ?
Vous êtes prospectiviste, c’est quoi au juste ?
L’une de mes activités est de travailler sur l’avenir de notre monde, simuler quelles sont les menaces qui pèsent sur nos sociétés, quelles sont les solutions pouvant être mises en place par l’humanité pour y faire face, le tout à partir du travail de spécialistes dans de nombreux domaines, entre autres ceux rattachés au GIEC, le groupe d’experts mandaté par les Nations-Unies pour étudier l’évolution du climat.
Ce travail de prospective permet de simuler les avenirs possibles qui se dessinent à nous, le tout sous forme de scenarii, comme le fait le GIEC mais sous des formes plus accessibles et parlantes pour le public ou les décideurs : par exemple via des simulations visuelles hyper-réalistes (ce que je fais via mes ouvrages à la Martinière, ou via Symbiom), voire d’ouvrages plus littéraires, le roman étant un excellent moyen, comme le disait Asimov, de donner corps à de telles projections.
Pouvez-vous nous présenter le groupe Symbiom que vous présidez ?
Symbiom agit sur deux plans complémentaires : la sensibilisation, l’information du grand public comme des décideurs, industriels… aux problématiques environnementales. Parallèlement Symbiom développe également des projets très concrets d’action pour faire face aux menaces engendrées par les activités anthropiques sur notre environnement.
Le but premier est d’informer et de sensibiliser sur l’une des menaces que je considère aujourd’hui comme majeure non seulement pour l’humanité, mais plus généralement la vie sur terre puisque la radioactivité ne fait pas de tri entre les espèces.
Le roman me semble être un vecteur parfait pour apporter cette information de manière “digeste”. Je déplore d’ailleurs que le monde scientifique n’utilise pas plus ce support. Il n’y a pas que la télé ou le cinéma. Même au niveau du livre, pourquoi focaliser uniquement sur des genres tels que le livre documentaire ? Le roman est également un excellent moyen de communication pour dénoncer, expliquer, et qui permet de toucher un public bien plus vaste puisqu’il ne se restreint pas uniquement à un public intéressé par une thématique précise.
Et puis dites vous que toute information est bien mieux intégrée par un individu lorsque cela passe par le biais du plaisir, en l’occurrence, le plaisir de la lecture. Si vous êtes rébarbatif, vous avez de grandes chances de rater votre objectif. Si au contraire, vous réussissez à passionner, à interloquer, choquer, déstabiliser, c’est là que vous marquerez vos lecteurs. Le roman a ce potentiel.
Votre roman n’est clairement pas un pamphlet moralisateur. Il fourmille d’informations ahurissantes sur le nucléaire, mais vous avez également pris un grand soin pour développer une véritable et passionnante intrigue…
Oui c’est très important, primordial. Cette lecture doit rester un plaisir comme je le disais plus haut. J’ai une écriture très imagée, très cinématographique, j’essaie de faire passer au mieux des sentiments, faire ressentir certaines choses. La menace nucléaire, ne laisse personne de marbre, cela m’intéressait vraiment de jouer d’une certaine manière avec le lecteur et ses sentiments, le projeter dans une situation apocalyptique, le faire vivre de l’intérieur ce qui se passerait si du jour au lendemain nos centrales venaient à rencontrer de sérieux soucis, ce que personne n’ose imaginer… jouer avec ces peurs tout en laissant la porte ouverte à l’espoir. L’espoir est le sentiment le plus important à véhiculer. Il ne sert à rien de faire un livre axé sur la peur, un livre totalement noir, car ce type de livre ne sert pas à grand chose, à la fin le lecteur est totalement déprimé et le livre n’a pas agi comme un catalyseur d’énergie mais au contraire comme un démoralisateur. Ce que je veux, c’est que le lecteur ne sorte certes pas indemne de la lecture, mais avec des sentiments “utiles”, de l’agacement, de la colère en ayant appris comment nos dirigeants et nos industriels jouent avec nos vies, mais aussi de l’espoir, l’espoir en un autre monde, l’espoir que l’humanité a malgré tout cette capacité de se révolter et de muter.
Si le lecteur, en fermant l’ouvrage souhaite agir, se révolter, sensibiliser à son tour d’autres lecteurs en parlant de l’ouvrage (comme vous le faites sur votre blog) et de ce qu’il y a appris, si je permets au lecteur de comprendre un peu mieux le sujet, si je réussis à lui fournir des éléments de réflexion et d’information qu’il intègre et qu’il utilisera à l’avenir quand il sera invité à s’exprimer sur le sujets alors Résilience sera une pleine réussite pour moi.
Pourquoi avoir donné ce titre « Résilience » à votre roman ?
La Résilience définit la capacité d’un organisme ou d’un écosystème à récupérer d’un traumatisme. Ce qui fait que le nucléaire est pour moi la pire des menaces dans notre monde, c’est que la catastrophe nucléaire interdit toute résilience. Aucun être vivant ne se remet d’une forte irradiation. Même un végétal fortement irradié, finit par développer des mutations et aberrations génétiques qui vont conduire à sa mort. Dans le livre, la catastrophe arrive, et une partie de l’histoire tourne finalement autour de cette problématique : la résilience va-t-elle être possible, les survivants vont-ils pouvoir survivre sachant que les radiations vont demeurer sur Terre des centaines de milliers d’années.
De fait, votre roman est hyper réaliste. Vous êtes-vous inspiré des innombrables romans post-apocalyptiques ou avez-vous cherché à vous en démarquer ?
Ma culture littéraire post-apocalyptique est extrêmement réduite car faute de temps, depuis des années, dès que je peux lire, je consacre uniquement mes lectures à des ouvrages, dossiers, comptes-rendus, études, scientifiques sur les thématiques sur lesquelles je travaille. Cela me permet de mieux maitriser ces sujets, et de savoir de quoi je parle. Du coup je lis très peu pour le plaisir, mais plus pour le travail. Par conséquent, je n’ai pas pu vraiment m’inspirer, à fortiori je n’ai pas cherché non plus à me démarquer. J’ai bien en tête quelques référence, comme Ravage de Barjavel, mais cela reste limité, en revanche j’aime bien les auteurs comme Carl Sagan qui, sur des livres comme “Contact” ont mis leurs connaissances scientifiques avec brio au service d’une histoire pour tenter de transmettre leurs savoir de manière accessible.
Votre roman est extrêmement documenté. Comment avez-vous procédé pour faire valider l’ensemble des informations y figurant (d’autant plus qu’une bonne partie est inconnue du grand public) ?
Il y a tout d’abord beaucoup de travail de recherche en amont. Je m’intéresse à cette problématique depuis quelques années, depuis que Corinne Lepage m’a sensibilisé un jour aux menaces que recelaient nos centrales, c’était déjà à l’époque où elle s’était engagée sur le dossier Fessenheim, bien avant la décision récente du gouvernement de fermer cette dernière. J’ai donc travaillé 2 ans sur ce projet, en questionnant beaucoup d’amis de diverses formations scientifiques.
Une fois l’histoire écrite, je fais comme je le fais avec chacun de mes livres, je le soumets à ces mêmes personnes qui m’ont renseigné lors de ma phase de recherche.
Je suis très attentif à ce que toute l’histoire soit totalement plausible, l’hyper réalisme a toujours été primordial à mes réalisations, qu’il s’agisse de mes travaux visuels (infographies) ou de mes romans, cela est peut-être lié à ma propre formation scientifique, dans le domaine de la paléontologie.
Logiquement, la première personne à qui je l’ai fait lire a été Corinne Lepage, car en tant qu’ancienne ministre de l’environnement et actuelle députée européenne, elle pouvait à la fois me corriger sur la partie nucléaire, qu’elle maitrise parfaitement, mais aussi sur la partie politique car je souhaitais que le comportement des gouvernements, chefs d’état, ministres soit extrêmement crédible, que les échanges, coups de gueule du Président, les réactions désabusés des ministres, et de ses conseillers, que tout soit extrêmement réaliste. Enfin, son statut d’avocate spécialisée dans le droit environnemental a été important, car en m’attaquant à des géants comme Areva, je ne pouvais prendre le risque de tendre le bâton pour me faire battre et risquer de me retrouver avec des procès sur le dos. La relecture des textes par des avocats qui m’ont conseillé sur certains points a donc été très importante également.
Je me suis également tourné évidemment vers des amis physiciens nucléaires pour relire tous les passages qui se déroulent dans les centrales, surtout au moment des attaques terroristes, par ailleurs, des amis proches du milieu des renseignements m’ont également aidé, car je parle beaucoup de la DCRI très critiqué sur certaines affaires récentes et qui pourtant font un travail ô combien important permettant en amont de prévenir la plupart des menaces d’ordre terroriste.
Il y a eu en réalité beaucoup d’autres personnes dont je me suis entouré, comme des personnes de l’IPEV qui travaillent sur la véritable base Concordia en Antarctique, ainsi que d’autres personnes qui ont travaillé sur ce site. Il y a eu également des paléontologues, vulcanologues, militaires etc. qui ont inspiré les personnages du roman.
N’est-il pas trop tard pour relever le défi du « non nucléaire » ?
Non seulement il n’est pas trop tard mais nous n’avons pas le choix , surtout vu ce qui est en jeu. L’échec ne nous est tout simplement pas permis. Il faut en sortir, et au plus vite pour toutes les raisons expliquées dans le livre. Le nucléaire sera un gouffre financier sans commune mesure avec nos autres “petits” problèmes économiques actuels, le nucléaire ne nous rend absolument pas indépendants vu que nous n’avons pas d’uranium en Europe (pourquoi pensez-vous qu’il y a tant de tensions au Mali, au Niger en ce moment, et pourquoi croyez-vous que la plupart des otages français dans le monde travaillent pour Areva ?) , le nucléaire est tout sauf une ressource énergétique propre, il n’y a pas pire et plus dangereux déchet dans l’univers que des éléments radioactifs, bref… le nucléaire a été la pire des idées dans l’histoire des mauvaises idées, il faut absolument en terminer. Il suffirait d’un seul accident en France et toute l’Europe serait à genoux. Vous imaginez les conséquences d’un Fukushima à quelques dizaines de kilomètres de Paris ? Voilà l’idée de départ de Résilience. Et si cela arrivait près de chez vous ? Que feriez-vous ? Ou iriez-vous ? Comment les autorités réagiraient ?
Parlez-nous de vos précédents projets en rapport avec le monde du livre et de vos futurs projets ?
Mes précédents projets littéraires je les ai réalisés à la Martinière, qui a été ma première maison et m’a permis d’être édité dans de nombreux pays. Je suis redevable à cette maison de m’avoir lancé, et il n’est pas impossible que d’autres projets de livres d’images voient le jour, vu les réalisations infographiques réalisées régulièrement pour les projets Symbiom. D’autres livres dans la lignée de “Terres d’Avenir” (www.facebook.com/Terres.Avenir) pourraient donc suivre.
Je ne sais pas trop encore pour les prochains projets de romans en revanche, car je suis engagé dans des projets internationaux de première importance qui sont ma priorité absolue. J’ai donc peu de temps pour d’autres projets.
En revanche, “Résilience” n’en est qu’au début. J’ai initialement souhaité absolument prendre mes distances avec le monde éditorial, ma dernière expérience avec “Gaia” ayant été assez “négative”. J’ai quitté mon éditeur très en colère et je ne voulais plus entendre parler un temps d’édition, raison pour laquelle j’ai sorti indépendamment pour le moment “Résilience” via Symbiom (ce qui explique qu’on ne le trouve actuellement en vente que sur la boutique du site http://www.symbiom.org et pas en librairie). Cela me permet également d’utiliser tous les bénéfices pour financer nos projets environnementaux.
Je voulais vraiment avoir ma liberté, une liberté totale, sur le texte, sur la forme également, cela va de la couverture à la présentation etc, sans que l’on me dicte quoi que ce soit. Je suis très attaché à ma liberté et j’avoue avoir perdu confiance dans le monde éditorial. Il y a encore peu je ne voulais plus du tout écrire à cause de cela.
Mais aujourd’hui, vu l’impact que “Résilience” a sur les lecteurs, et les nombreux messages et critiques que je reçois, j’envisage de couper la poire en deux, peut-être de signer avec une grande maison pour la version papier afin de permettre une large diffusion (sous réserve que cette maison comprenne et respecte certains de mes choix) et garder ma liberté avec la version numérique, sans compter les projets cinématographiques puisque des producteurs sont déjà intéressés par l’ouvrage.
Si cela se fait, j’ai comme idée de compléter régulièrement “Résilience” en fonction de l’actualité géopolitique, le numérique permettant aisément cela, contrairement à la version papier. Il n’est pas impossible que l’ouvrage s’enrichisse par la suite de nouveaux passages ou même de projets littéraires parallèles, suivant l’aventure d’autres personnages. Nous verrons bien, tout dépendra de mes activités au sein de Symbiom.
Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans votre processus créatif ?
J’adore les musiques de film notamment, John Williams évidemment, mais aussi Hans Zimmer… je les écoute régulièrement. Pas pendant l’écriture car j’ai besoin de toute ma concentration mais très souvent.
Le mot de la fin ?
Spes manet… mais pour comprendre cette phrase, il faudra lire le livre (ou apprendre le latin, au choix).
Catégories :Interviews littéraires, Littérature
Bon, je ne vais t’étonner, cette interview est fantastique! Cet homme est génial! Résilience est mon plus grand coup de coeur depuis très longtemps! J’en parle à tout le monde, pas seulement pour l’intérêt “pédagogique”, mais aussi pour cette histoire fabuleuse! Je suis, je reste dithyrambique! Merci!
Je fais pareil 😉 Il faut que sa voix porte et que son roman se diffuse au maximum !
Ben oui, j’aurais dû déduire que tu allais interviewer l’auteur de ce livre dont tu nous parle avec tant de bien… une fois de plus, une interview qui dépote, qui nous instruit et qui est agréable à lire. ET qui, une fois de plus, donne envie d’acheter et de lire le livre !!!
À quand celle de Don Winslow ? Dennis Lehane ?? Hum ?
et Stephen King 😉 oui je sais, y a du boulot… Concernant ce livre, je me répète : achetez ! 😉
Hé, tu nous les paies ?? Tu comptes organiser une grande collecte d’argent sur le Net pour nous offrir tous ces livres ??
Rhââ, Stephen, ce serait le must !
Vivement le film ! et pour l’achat Belette il est en version numérique, donc moins cher que papier. Comme gruznamus et Black Kat, LISEZ RESILIENCE vous ne serez pas déçu
on dirait un peu de la propagande ton message, mais en fait tu as tout à fait raison : achetez le 😉