Interview littéraire 2013 – Laurent Scalese

Il y a des auteurs dont on se sent immédiatement proche.

Il y a des auteurs qui savent parler aux lecteurs avec passion et sensibilité.

Laurent Scalese fait indéniablement partie de ces auteurs.

Il n’est pas étonnant de le voir en ami de Franck Thilliez, tant leur sensibilité et leur gentillesse semblent les rapprocher. La publication d’une novella à quatre mains par ces deux auteurs n’est donc pas une vraie surprise.

« L’encre et le sang » est un petit livre absolument fantastique (au propre comme au figuré), une histoire forte et un pur moment de divertissement. Bref une réussite totale qui prouve qu’on peut toucher sa cible en plein cœur même avec un court texte.

Cette interview est l’occasion de discuter de cette collaboration avec l’auteur, mais également de parler de ses passions. Interview n’est d’ailleurs pas le mot juste, tant j’ai eu l’impression d’un vrai échange avec une personne formidable et captivante.

Un entretien absolument magnifique, je ne remercierai jamais assez Laurent Scalese pour avoir joué le jeu avec autant d’enthousiasme.

Ma chronique de « L’encre et le sang »

L’entretien :

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, Pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?

Passionné, optimiste, bosseur.

9782266208567Pouvez-vous nous présenter l’histoire de « L’encre et le sang » avec vos propres mots et nous parler de ce que vous avez souhaité proposer avec votre ami Franck Thilliez ?

L’encre et le sang est avant tout la concrétisation d’une envie commune, à Franck Thilliez et à moi-même. D’une part, nous voulions écrire un texte à quatre mains. D’autre part, nous voulions raconter une histoire dans un genre différent de celui où nous œuvrons habituellement. Et comme le fantastique, c’est notre tasse de thé à tous les deux, nous n’avons pas mis longtemps à nous décider !

Surtout, nous voulions prendre du plaisir pendant la phase d’écriture, nous avions envie de nous amuser, sachant que si nous nous amusions, le lecteur s’amuserait avec nous. Bien sûr, on peut jouer la carte du divertissement tout en délivrant quelques petits messages, ce que nous avons fait.

La novella est émaillée de réflexions, sur la nature humaine dans ce qu’elle a de plus abject et de plus terrifiant – très peu de gens, finalement, restent eux-mêmes quand il s’agit du pouvoir –, sur la création (littéraire, mais pas que), sur le mensonge et l’imposture – ces personnes qui pensent être des artistes alors qu’elles ne le sont pas, ces artistes qui s’approprient le travail des autres, ces écrivains qui bâtissent une vraie carrière alors qu’ils n’ont pas écrit une ligne de leurs romans, ou si peu –, sur les inégalités qui se creusent chaque jour davantage au sein de la société, que ce soit ici ou n’importe où dans le monde – dans le livre, nous décrivons une société à deux vitesses, celle d’en bas, et celle d’en haut –, sur le moment fatidique où il faut payer le prix de ses erreurs, car dans toute vie ce moment nous explose à la figure, tôt ou tard.

Comment s’est déroulé ce travail à quatre mains avec Franck ?

Les grandes lignes définies, nous écrivions chacun un passage, à tour de rôle. Le plus excitant quand on écrit, c’est quand l’histoire n’est pas figée, quand elle n’est pas planifiée de A à Z avant même que la première ligne ne soit écrite.

Je sais que beaucoup d’auteurs ne fonctionnent qu’avec un plan, une structure et des tas de notes prises en amont. Ce ne fut pas le cas pour L’encre et le sang. Intimement, viscéralement, nous connaissions l’histoire que nous avions l’intention de raconter, nous connaissions les personnages et leurs motivations. Cette connaissance nous permettait de savoir où nous mettions les pieds.

Personnellement, j’ai le sentiment que tout prévoir, tout penser, tout planifier, fait de l’écriture un travail scolaire et ennuyeux. Je n’en retire aucune satisfaction, c’est la raison pour laquelle je laisse toujours une place à l’imprévu.

La littérature fantastique en France est un genre qui n’est pas toujours pris très au sérieux, à la différence des pays anglo-saxons. N’est-il pas compliqué pour un auteur français de polars de se frotter à ce genre ?

Quel que soit le domaine, la frilosité et la peur des idées nouvelles sont inhérentes à la France, malheureusement. C’est encore plus vrai dans les milieux artistiques, où les enjeux financiers sont parfois si importants qu’il n’y a plus aucune place pour l’audace et la créativité.

Et puis, ici, on a tendance à mettre les artistes dans des cases dont ils ont un mal fou à sortir. Un exemple : combien de gens savent, en France, que Sam Shepard n’est pas seulement acteur mais aussi écrivain et auteur de pièces de théâtre – et un très bon, ce qui ne gâche rien ?

Aux États-Unis et en Angleterre, on ne se pose pas la question de savoir dans quelle catégorie ranger un artiste, on se pose la question essentielle et autrement plus importante de savoir si l’idée qu’il propose est bonne, si son histoire est bonne et si, au final, elle peut déboucher sur un succès.

On peut appliquer ce raisonnement au fantastique ou à la science-fiction : j’imagine que ces genres de littérature effraient les décideurs car ils échappent souvent à la rationalité, à la construction et à la logique implacable qu’un roman policier est censé avoir. Cette recherche de la réalité-vérité à tout prix tue l’imaginaire.

Tout a basculé le jour où ces émissions de télé-réalité ont déferlé sur les chaînes de télé du monde entier ; elles sont responsables du nivellement par le bas et de la curiosité malsaine qui consiste à regarder par le trou de la serrure du voisin. Or, nous le savons, les romans et les films qui marchent le mieux donnent dans la S.F. ou dans le fantastique, parce qu’au fond, c’est ce que les gens veulent lire ou voir. Ils ont besoin, nous avons tous besoin de rêver, d’échapper pour quelques jours, pour quelques heures à la banalité du quotidien.

Parlons un peu de littérature fantastique et de SF. Vous semblez avoir une passion particulière pour les romans de « l’âge d’or », des années 30 aux années 80…

Je suis un inconditionnel des romans policiers et des romans fantastiques et de S.F. des années 30-70. Je trouve qu’à cette époque, on avait tout : le divertissement et le fond. Une vraie vision, lucide, de la société telle qu’elle était et telle qu’elle pourrait être, par extrapolation, dans un futur plus ou moins proche.

Pour moi, il est impensable, pour un auteur, de se lancer dans l’écriture de romans policiers et de thrillers sans avoir lu – et relu – les classiques : Chandler, Hammett, Hadley Chase, Irish, McCoy, Cain, Bloch, Thompson, pour ne citer qu’eux. Il y a tout, dans ces livres : une atmosphère, une intrigue, des personnages, un miroir sans concession de la société – où rien n’est blanc ni noir mais gris, ce qui complique bien souvent la tâche de nos héros –, une dénonciation des ambiguïtés de l’homme. Et puis, il y a un sacré style, ces gens-là savaient écrire.

Aujourd’hui, lorsqu’un roman est mal écrit, j’ai du mal à le lire, à le finir. Il n’y a rien de plus beau qu’une phrase écrite avec les bons mots, chacun étant placé au bon endroit, le genre de phrase si évocatrice qu’elle vous emmène ailleurs ou vous fait ressentir une émotion au plus près.

Parlez-nous des auteurs qui vous fascinent, Bradbury, King, Matheson, Koontz (ou d’autres)…

Bradbury, Matheson, Finney, Asimov, K.Dick, C. Clarke et King sont à la S.F. et au fantastique ce que Chandler, Hammett, Irish et Thompson sont au roman noir et au roman policier : des maîtres, et plus encore. Comment ne pas être marqué par les Chroniques martiennes de Bradbury, comment ne pas être touché par la poésie de son style, de ses images, de ses ambiances ? Comment ne pas se poser mille questions et s’inquiéter pour l’avenir de la littérature en lisant Fahrenheit 451, dans lequel Bradbury nous donne un aperçu angoissant d’un monde sans livres, car ceux-ci favorisent la réflexion et la liberté de pensée ?

Comment ne pas être bouleversé en découvrant les univers de Jack Finney, qui oscillent entre nostalgie et mélancolie, où le temps qui passe – et son cortège de regrets, de remords – occupe une place primordiale ?

Asimov a su vulgariser intelligemment la S.F., la rendre accessible à tous. Ses romans et ses nouvelles sur les robots sont des modèles du genre, inégalés depuis.

K. Dick est selon moi le plus fou, le plus génial, le plus inventif de tous. La paranoïa et la psychose, omniprésents dans son œuvre, sont parmi les thèmes les plus exploités au cinéma aujourd’hui, surtout depuis les attentats du 11 septembre.

Quand il s’agit d’amener la peur, de l’inoculer au lecteur tel un virus, Dean Koontz est le plus fort. J’ai rarement vu un écrivain jouer aussi bien, de façon aussi démoniaque, avec la peur, avec la terreur. En quelques phrases, il vous donne littéralement la chair de poule. Il n’a pas son pareil pour décrire et transmettre ces sensations primitives. Dans la même veine, Graham Masterton n’est pas mal non plus.

King est l’écrivain le plus populaire car il a su universaliser le fantastique. Je recommande vivement la lecture de son petit dernier, 22/11/63, un pur chef-d’œuvre, qui vaut surtout pour son histoire d’amour intemporelle et inoubliable.

J’ai gardé le meilleur pour la fin : Richard Matheson, décédé il y a peu. Pour moi, le maître absolu. Un dieu de la littérature de genre. De lui, j’ai tout lu – et relu. Je suis une légende fait partie de ces livres que j’emporterais sur une île déserte. Ecrit en 1954, il préfigurait, avec plus de quinze ans d’avance, tous les films, tous les romans, toutes les BD et toutes séries télévisées abordant le thème de la fin du monde et celui des zombies. Je suis une légende a clairement influencé Romero et beaucoup d’autres réalisateurs. La recette fonctionne encore, il n’y a qu’à voir le succès planétaire de World War Z.

Dans ce style littéraire, à l’image de l’histoire proposée dans « L’encre et le sang », vos goûts vont clairement vers les récits dans lesquels le Mal a un visage « humain »…

En effet, je me laisse emporter par la S.F. et le fantastique à condition que le mal décrit ait un « visage humain ». C’est pour cette raison que j’aime tant L’invasion des profanateurs de Jack Finney.

Au final, les extraterrestres ont une apparence humaine puisqu’ils prennent possession des corps des femmes, des enfants et des hommes. Là, ça me fait très peur, parce qu’on peut difficilement identifier la menace. Le danger peut venir de son voisin, de sa compagne, de ses enfants, de n’importe qui.

Quand il s’agit de monstres, de créatures protéiformes et gélatineuses, j’ai tendance à décrocher, je n’y crois pas.

Vous êtes également fasciné par la culture japonaise…

Cette attirance pour le Japon, féodal et moderne, remonte à loin. L’image et la symbolique du samouraï me hantent depuis des années. Je suis fasciné par l’époque révolue de ces grands guerriers, ayant des principes, un code d’honneur.

J’ai essayé, dans Le samouraï qui pleure, de parler d’eux, de leur rendre hommage, de les faire revivre en quelque sorte.

Ayant des enfants et parlant souvent avec les jeunes, je constate que le japon a gardé intact son pouvoir de fascination. Aujourd’hui, le manga est devenu la principale lecture des adolescents, ils sont accros. Nous avions Albator, Goldorak et Candy, ils ont Inazuma Eleven, Fairy Tail, Beyblade… A croire que cette passion se transmet de génération en génération.

Quelques mots sur la Ligue de L’imaginaire, le pourquoi de cette association d’auteurs, son actualité… ?

La LDI est un collectif d’auteurs ayant pour but de représenter et de défendre les littératures de l’imaginaire, celles que nous aimons. A la base, nous étions confrères. Nous sommes devenus amis en nous apercevant que nous avions la même vision des choses.

Cette année, avec le premier Prix du Boulevard de l’Imaginaire, remis le 28 juin au cinéma le Grand Rex à Paul Colize pour son excellent roman Un long moment de silence, la Ligue a passé la vitesse supérieure. D’autant plus que nous avons accueilli un nouveau membre, une femme cette fois, Barbara Abel.

La soirée du 28 juin ayant été un succès, il y en aura une autre l’année prochaine, ce dont nous sommes ravis. Nous prévoyons d’organiser d’autres événements dans les mois qui viennent. Pour ma part, je serai sur Radio France Bleu National le vendredi 12 juillet à 11h du matin pour parler de la Ligue.

Et votre actualité à vous, Laurent Scalese ? L’écriture de scénarios pour des fictions TV, l’écriture de votre prochain roman…

Depuis le 13 juin, L’encre et le sang est donc disponible aux éditions Pocket dans toutes les bonnes librairies. C’est l’occasion de braquer le projecteur sur l’une d’elles. Si vous habitez à Egreville ou à proximité, vous pourrez acheter L’encre et le sang à la Librairie Egrevilloise, tenue par Stéphanie Hérisson Delattre, une professionnelle qui fait un travail remarquable au quotidien…

Sinon, des projets audiovisuels sont en cours. Cela demande du temps, et pas mal d’énergie. Cherif, la série policière très fun que j’ai co-créée et co-écrite pour France 2, sera bientôt diffusée.

J’avance mon prochain roman, qui comprendra certainement deux volumes, une histoire que j’adore et qui marquera une étape importante dans ma carrière. Il y aura un avant, et un après.

Et puis, un autre projet à quatre mains se profile à l’horizon, mais je ne peux pas en parler pour le moment.

Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans votre processus créatif ?

En général, j’écoute de la musique – surtout des bandes originales de films – après la période d’écriture, pendant la relecture d’un chapitre par exemple.

Comme je suis un peu monomaniaque, j’écoute toujours les mêmes morceaux, en boucle. Ils correspondent aux ambiances du livre en cours de rédaction.

Pour le prochain roman, j’écoute Isolated System de Muse – World War Z de Marc Foster –, Rodeo d’Ennio Morricone – Le Casse d’Henri Verneuil –, Injection de Hans Zimmer – Mission impossible 2 de John Woo –, Did You Call Me de John Barry – The Specialist de Luis Llosa –, le main title d’American Beauty, de Thomas Newman, Two Socks Theme de John Barry – Danse avec les loups de Kevin Costner.

Le mot de la fin ?

Merci pour cette superbe interview qui m’a permis d’aller plus loin, beaucoup plus loin ! 

Site internet de Laurent Scalese



Catégories :Interviews littéraires, Littérature

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12 réponses

  1. magnifique cette interview on sent vraiment votre plaisir d’échanger à tout les 2 bravo messieurs!

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Un très grand plaisir, effectivement 😉

  2. Magnifique ! Il n’y rien à dire, t’es l’meilleur ! 🙂

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      C’est Laurent Scalese qu’il faut féliciter, pas moi 😉

  3. Un superbe article ! Il faut te féliciter toi aussi pour ca ;). Mais c’est vrai que Laurent Scalese fait partie de ces écrivains et de ces personnes abordables, chaleureuses, passionnées, un vrai plaisir de le rencontrer et de le lire !

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Merci beaucoup et merci pour lui:-)

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