Interview littéraire 2013 – Stéphane Beauverger

Stéphane_Beauverger-Imaginales_2010Stéphane Beauverger est l’auteur du roman «Le Déchronologue». Ce roman est un chef d’œuvre absolu. Ça vous va comme présentation ? 😉

Tout amateur de SF se doit, à mon sens, d’avoir lu cet incroyable roman, de s’être plongé dans ce récit de flibusterie et de perturbations temporelles.

Un voyage inoubliable à travers le XVII° siècle et à travers le temps, qui ne peut laisser personne indifférent.

Une lecture étonnante jusque dans sa construction, l’auteur racontant cette histoire dans le désordre, en mélangeant les chapitres. Un procédé dangereux, qui s’avère au final un coup de génie !

Pour rendre un petit hommage à cette originalité, j’ai décidé de poser mes questions dans le désordre également 😉

Merci à l’auteur pour ce livre inoubliable et pour cet entretien passionnant.

Lien vers ma chronique du roman

L’entretien :

Le mot de la fin ?

Merci pour cette invitation à m’exprimer ici, et au plaisir de se recroiser ailleurs, plus tard et autrement 🙂

J’ai lu que tu t’étais inspiré d’œuvres grand public en rapport avec les flibustiers pour te préparer à l’écriture du Déchronologue…

Oui, ça aurait été difficile de faire sans. J’avais beau avoir beaucoup consommé de romans et de films d’aventures maritimes et de flibuste quand j’étais gamin et ado (Jules Vernes, Stevenson, les films de pirates hollywoodiens, etc.), et continué à m’intéresser au sujet au fil des années, j’ai réalisé que j’allais devoir sérieusement me documenter dès qu’il s’est agi de m’inscrire un peu dans la réalité historique de ce qu’a été la geste caribéenne.

Avec « Le Déchronologue », je voulais à la fois rendre hommage à cette littérature populaire d’aventure et rendre hommage à l’incroyable saga qu’a constituée la conquête du Nouveau Monde. Une saga d’exploits, de violence, de cruauté, et d’avidité. Et aussi tordre le cou à certaines erreurs et images d’Epinal colportées par le cinéma. Genre, le supplice de la planche : c’est une très belle invention – très belle dans le sens de « très dramatique et visuelle » – hollywoodienne, mais elle n’a aucune réalité historique… Bon, qu’on rassure, les pirates, corsaires et autres flibustiers avaient inventé bien pire en termes de mauvais traitements, niark, niark, niark !

Et puis, au-delà de l’aspect sanglant et violent de cette époque, et sans vouloir minimiser leurs exactions, j’ai tout de même un grand respect pour tous ces types, tous ces marins qui traversaient l’océan sur des coquilles de noix à la recherche de la fortune et de la gloire. Ces équipages vivaient dans des conditions épouvantables, c’était d’authentiques prolos, des damnés de la mer. La majorité d’entre eux ne sont pas devenus pirates par choix, tout comme ils ne se mutinaient pas par goût de la liberté individuelle (un concept bien flou à l’époque), mais plutôt en réaction aux mauvais traitements subis à bord. La Navy britannique, en particulier, avait la réputation de maintenir une discipline d’acier à bord de ses navires.

C’est tout ça que je voulais mettre en scène, dans « Le Déchronologue », en plus de raconter l’aventure du capitaine Henri Villon et de son équipage de braves. Au détour des chapitres, des paragraphes, à l’orée de l’histoire principale, rendre hommage à cette incroyable époque faite de conquête, d’audace, de fièvre de l’or et de sang.

Comment travaille-t-on son style lorsque l’on veut qu’il sonne d’époque ?

J’imagine que ce serait à d’autres que moi de répondre à cette question. J’ai plutôt tendance à considérer qu’un auteur est le plus mal placé pour parler de son style… Et puis, un illusionniste n’aime pas révéler ses trucs ^^

Ceci dit, pour répondre quand même à ta question d’un point de vue technique, je dirais que j’ai veillé à faire « à la manière de », mais surtout pas « comme à l’époque ». Il suffit d’aller un peu piocher dans les textes du XVIe et du XVIIe siècle (Montaigne, par exemple), pour réaliser que leur vocabulaire et leur syntaxe sont très différents des nôtres, et que le résultat aurait probablement été indigeste (du moins peu adapté au ton picaresque que je voulais pour le roman) pour le lectorat moderne.

Donc, pour définir le style de Villon, je me suis en réalité plutôt inspiré du style descriptif d’auteurs du XIXe siècle, mâtiné de termes vieillots ou de tournures désuètes pour renforcer l’immersion historique. Parfois, j’ai aussi inventé des formules qui « font » époque, mais qui n’ont pas d’authenticité historique (par exemple dans le cas du personnage Fèfè de Dieppe, le boucanier un peu fou qui jargonne un sabir d’îlien difficilement compréhensible). Une fois que cette étape de mise en place du canevas stylistique était achevée, il me restait à effectuer un travail classique de relecture et correction pour trouver le souffle lyrique et le rythme propres à Villon, puisque « Le Déchronologue » reste son journal personnel.

Peux-tu te présenter aux personnes qui n’ont pas le plaisir de te connaître ?

Hé bien, je m’appelle Stéphane Beauverger, je suis un Breton exilé à Paris pour y exercer mon métier de scénariste. Je suis journaliste de formation, scénariste de métier, écrivain dès que j’en ai le temps, et guitariste quand je suis sûr que personne n’écoute. « Le Déchronologue » est mon quatrième roman, après une première trilogie de science-fiction post-apocalyptique dite « triptyque du Chromozone ». Tous ont initialement été publiés chez La Volte avant d’être repris en poche chez Folio SF. Comme je dis parfois, j’ai la chance de vivre de ma plume, même si c’est davantage en tant que scénariste qu’en tant que romancier.

L’idée de départ était-elle d’écrire sur le thème de la flibuste, où dès le début as-tu eu dans l’idée ce mélange des genres ?

En fait, j’avais d’abord trouvé ce nom qui me plaisait, « Le Déchronologue », et je l’avais noté dans un de mes pense-bêtes avant de l’oublier. Confusément, j’avais estimé que c’était un nom qui sonnait bien pour raconter une histoire de voyage dans le temps. Et puis, plusieurs mois plus tard, sur une feuille blanche où je notais des idées d’univers sympas à développer, j’ai écrit « un navire pirate dont les canons tirent du temps », et ça m’a fait repenser à ce titre que j’avais noté : « Le Déchronologue ».

Et je me suis dit que je tenais là quelque chose de vraiment évocateur. Que ça pourrait être le nom du navire en question. Que je tenais là de quoi raconter une belle histoire de SF dans un registre qui me tient à cœur depuis que je suis en âge de lire : les histoires de pirates. Encore quelques mois plus tard, alors que je venais à peine de finir d’écrire « La cité nymphale », le dernier volet de ma première trilogie, mon éditeur m’a demandé si je savais sur quoi j’allais bosser désormais. Je lui ai répondu « oui, ça s’appellera Le Déchronologue, et ça racontera l’histoire d’un navire pirate dont les canons tirent des minutes et des secondes ». J’ai bien senti qu’il accrochait à ce pitch et que mon intuition initiale était bonne. Il ne me restait plus qu’à l’écrire !

Peux-tu nous parler un peu de ton autre métier, scénariste de jeux vidéos ?

Eh bien, c’est mon métier, dans la mesure où c’est celui qui me nourrit. Je travaille comme scénariste professionnel depuis une quinzaine d’années. J’ai commencé chez Ubi Soft en 1996, pour travailler sur Rayman 2, pour ceux qui se souviennent de ce vieux jeu.

Mon boulot consiste généralement à concevoir et structurer des univers cohérents à partir des différentes volontés exprimées par les autres départements des boites qui m’engagent (game design, character design, direction artistique, etc.), et d’imaginer ensuite des histoires qui peuvent se dérouler dans un tel univers. Parfois, j’écris les dialogues, parfois d’autres s’en chargent. Parfois je conçois l’univers, parfois il a été conçu en amont par d’autres personnes.

Le métier de scénariste de jeu vidéo est très différent d’un projet à l’autre, mais cette définition un peu généraliste devrait permettre de mieux saisir de quoi il s’agit. Sinon, pour ceux qui voudraient en savoir davantage, on doit pouvoir trouver des vidéos sur Internet où j’explique plus en détail de quoi il s’agit.

Lien vers une de ces vidéos 

Quel est ton nouveau projet et quand peux-t-on espérer le voir apparaître ?

Mon prochain roman ? Et bien, je travaille dessus en ce moment, et il devrait sortir l’année prochaine, si tout se passe bien. J’ai tendance à considérer qu’un livre doit être publié quand il est fini, et pas quand il est temps qu’il sorte.

Ça sera un thriller d’anticipation qui se déroule dans le milieu de la pornographie, mais d’un point de vue économique et sociologique. Ce ne sera donc pas un roman pornographique mais un roman de science-fiction dans une société à forte résonance pornographique. J’ai fini le scénario en début d’année et j’ai commencé à l’écrire. Je n’aime pas trop parler de ce que je n’ai pas terminé, alors je ne peux pas en dire beaucoup plus pour le moment.

Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans ton processus créatif ?

Oui et non. Non, dans la mesure où je mélange rarement plage d’écriture et plage d’écoute musicale. Oui, dans la mesure où j’écoute énormément de musique par ailleurs, et que ça me nourrit beaucoup, mais pas quand j’écris.

La musique est certainement la forme d’expression artistique que je consomme le plus. Grâce à la révolution du numérique, je me suis constitué des playlists à n’en plus finir, par genre, par thème, par artiste, dans lesquelles je pioche à volonté.

J’adore autant décortiquer des nouveautés que déguster de vieux albums connus par cœur. Bref, je me nourris énormément de musique. C’est un art qui me transporte très vite très loin, qui peut allumer en moi une multitude d’émotions et de fulgurances sensitives : colère, sérénité, amour, tristesse, etc… Je suis capable d’écouter le même morceau en boucle pendant des heures, parfois jusqu’à une forme de dérive hypnotique. Ça peut s’avérer très utile pour réfléchir à des scénarios, des personnages, des images ou des ambiances.

Par contre, quand il s’agit de passer à la rédaction de scènes, j’ai besoin de silence et de calme pour travailler sur mon texte. La musique prend donc une part en léger différé dans mon processus créatif.

Concernant ces chapitres déconstruits et présentés dans le désordre, comme s’est organisé le travail ?

Et bien, j’avais commencé par construire toute mon histoire, puis placé les chapitres dans un désordre orchestré pour générer les effets de choc ou de révélations que je visais. A partir de là, normalement, il ne me restait qu’à écrire dans l’ordre déchronologique établi : chapitre 1, puis 16, puis 17, etc…

Mais je me suis tout de suite rendu compte que je n’arrivais pas à écrire le chapitre 16 si je n’avais pas écrit les 15 précédents. J’ai donc finalement écrit « Le Déchronologue » dans l’ordre chronologique des aventures du capitaine Villon, puis j’ai replacé chaque chapitre dans le canevas déchronologique que j’avais posé initialement.

Enfin, j’ai tout relu et lissé pour corriger les aspérités et scories liées à ces replacements. Donc, au final, si je n’ai pas écrit « Le Déchronologue » deux fois, je l’ai écrit au moins une fois et demi. Mais puisque c’était la forme que je voulais lui donner, ce jeu de puzzle faisait partie du travail d’écriture. Et j’estime d’ailleurs que le lecteur qui le lirait dans l’ordre chronologique des chapitres manquerait des informations et serait confronté à un rythme de l’histoire déséquilibré.

Question rituelle pour démarrer mes entretiens, peux-tu te définir en trois mots, juste trois ?

En trois ? Non 🙂



Catégories :Interviews littéraires, Littérature

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11 réponses

  1. Excellent ! Son livre est un chef d’oeuvre ?? Dis-moi, tu touches combien si les ventes augmentent grâce à ta critique et à ton blog ?? 🙂

    Bel interview, à l’envers, comme le livre. Marrant, écrire son livre et puis changer l’ordonnancement des chapitres. Étrange, envie de le découvrir… (tu toucheras quelques pièces si je l’ajoute en wishlist ?:))

    • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

      Non non c’est gratos c’est que de l’amour :-). Ce livre m’a marqué à vie, donc il faut bien que je le dise !

      • Les auteurs nous doivent des tas de choses, on leur fait la pub gratuite, uniquement par amour !

        Le livre est assez éloigné de ce que je lis traditionnellement, mais comme disait votre excité de préz « J’ai changé ».

        Oui, j’ai élargi mes lectures et j’en découvre d’autre, dans d’autres genres littéraires (je n’en suis pas encore aux Harlequins, je te rassure).

        J’aime les pirates et vu la critique enthousiaste, on a envie de se laisser tenter.

        • Yvan – Strasbourg – Les livres, je les dévore. Tout d’abord je les dévore des yeux en librairie, sur Babelio ou sur le net, Pour ensuite les dévorer page après page. Pour terminer par les re-dévorer des yeux en contemplant ma bibliothèque. Je suis un peu glouton. Qui suis-je : homme, 54 ans, Strasbourg, France

          C’est effectivement presque plus un récit de pirate que de SF (un récit un peu étrange).

Rétroliens

  1. Récapitulatif des interviews – Février / Juin 2013 |
  2. Récapitulatif des interviews – Février / août 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  3. Récapitulatif des interviews – Février / octobre 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical
  4. Récapitulatif des interviews – février / novembre 2013 | EmOtionS – Blog littéraire et musical
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