Son dernier roman, “Doux comme la mort”, est un roman noir d’une puissance rare. Un vrai uppercut, que la belle plume de l’auteur aide à esquiver.
Une histoire forte, bien construite, bien racontée, dans un environnement “exotique” : ce serait un crime de passer à coté.
Merci à Laurent Guillaume pour cette belle interview, enrichissante et pleine d’humanité.
L’entretien :
1. Pouvez-vous vous définir en trois mots, juste trois ?
Tempétueux, Loyal et sentimental.
2. Avant d’être écrivain, vous êtes avant tout policier. Vos personnages sonnent terriblement juste. Votre expérience du terrain y est-elle pour beaucoup ?
Tout d’abord et avec le temps, je ne suis plus sûr de la prééminence de ma qualité de policier sur celle d’écrivain. La preuve en est que j’ai récemment quitté la grande maison pour me consacrer exclusivement à l’écriture. Mais je serai toujours flic au fond de mon âme. C’est inscrit dans mes gènes.
Pour répondre plus précisément à votre question, j’essaie, à travers mes romans, de donner une image réaliste de mon ancien métier. Il n’est nul besoin, comme le font certains, de régurgiter une mythologie policière truffée de poncifs « américanisant » pour intéresser le lecteur. Je préfère faire le pari de l’honnêteté. Mes intrigues se déroulent dans un univers réaliste avec des personnages réalistes, souvent inspirés de personnes réelles que j’ai croisées au détour d’une enquête. Cependant, je veille à ce que ce souci de véracité ne devienne pas sclérosant. Après tout ce qui compte c’est l’évasion.
3. Vos personnages de flics sont meurtris et votre regard semble jeter une sorte de désespérance sur le métier…
D’autres que moi ont suivi cette route et des plus prestigieux (Marchal, Pagan etc.) même si pour ce qui me concerne je n’emploierais pas le mot désespérance, mais plutôt celui de dégoût. Dégoût d’un système dans lequel les flics sont devenus le défouloir d’une société en déliquescence.
Il arrive toujours un moment où ce métier vous bouffe la vie et détruit vos rêves. C’est cette envie de partager ce désenchantement qui a été l’un des moteurs de mon envie d’écrire. Je dois préciser que j’ai mal vécu l’évolution de mon métier ces dernières années : la défiance des magistrats, le mépris des journalistes toujours prompts à nous lapider, l’agressivité croissante d’une frange de la population, les multiples réformes de la procédure pénale donnant toujours plus de droits aux voyous, mais ignorant le sort des victimes, tout cela a fortement pesé dans la balance en faveur de ma décision de quitter la police. En fait, je n’avais plus l’envie.
4. Vos romans sont noirs et violents. Vos personnages sont interlopes, mais pourtant touchants et profondément humains. On sent que c’est l’émotion (positive ou négative) qui guide votre écriture…
L’émotion c’est ce qui m’a fait tenir toutes ces années. Si, en tant que flic, on patauge souvent dans le sordide, il arrive parfois que l’on vive des moments d’une rare intensité, qu’on partage des fous rires, qu’on ravale nos larmes, ensemble. C’est ce qui vaut d’être partagé avec le lecteur dans un roman : l’humanité.
5. Que ressentez-vous au moment d’écrire une scène violente (à fortiori lorsque cela concerne les « bons » de l’histoire) ?
En règle générale je ressens (pour partie) ce que ressentent les personnages, car je me projette dans la scène. J’imagine que ce n’est pas très original, mais c’est cette capacité d’immersion que me permet d’écrire. Pour ce qui est de la violence, c’est une chose que je maitrise pour y avoir été confronté pendant des années lorsque je patrouillais la nuit en banlieue parisienne. C’était mon pain quotidien. Aussi il m’est assez facile de décrire ce processus qui me fascine et me dégoûte tout à la fois.
6. Vous semblez laisser au lecteur le jugement moral, c’est une volonté ?
Complètement. Je n’aime pas l’idée de dire au lecteur ce qu’il doit penser, qui il doit aimer dans mes romans et ne pas aimer. Je ne juge pas, je raconte. La morale c’est l’affaire des philosophes. Tous mes personnages sont faits d’ombres et de lumières, comme dans la vie en fait. Libre à vous de les aimer pour ce qu’ils sont ou de les détester, du moment qu’ils ne vous laissent pas indifférent.
Parce que le Mali est un pays dans lequel l’aventure est encore possible. J’y ai vécu des expériences humaines extraordinaires. Un de mes collègues disait souvent qu’au Mali rien n’est certain, mais tout est possible. C’est presque une définition du roman. Là-bas j’ai dû renoncer à mes certitudes d’Occidental et m’adapter à un autre monde. C’est cet univers que j’avais envie de raconter. Le Mali est un pays profondément romanesque.
8. Le conflit actuel a-t-il changé la donne par rapport à l’écriture de ce roman ?
Non, car j’ai décidé de situer mon intrigue en 2009 pendant l’affaire dite d’« Air Cocaïne » au cours de laquelle des narcotrafiquants sud-américains ont affrété un Boeing 727 rempli de plusieurs tonnes de coke. L’avion s’est posé dans la région de Gao et ne put redécoller. Après avoir déchargé la cargaison, les narcos mirent le feu à la carcasse du Boeing. Cette affaire défraya la chronique en Afrique de l’Ouest, car elle mit en lumière les connexions troubles entre les trafiquants et les pouvoirs publics. Dans cette histoire il y eut des règlements de comptes entre narcos particulièrement sanglants puisque l’un d’entre eux finit dépecé à la tronçonneuse. Je m’inspire librement de cette affaire pour écrire ce que j’appelle un « hard boiled » africain : un roman avec un détective privé métis, ex-flic français en fuite de l’hexagone pour une sombre affaire de son passé.
À travers ce livre j’ai essayé de faire passer mon amour du Mali sans être complaisant pour autant. Dans mon roman, je dénonce les deux phénomènes qui gangrènent toute l’Afrique de l’Ouest : la trahison des élites et la corruption.
9. Avez-vous une méthode bien rodée lorsque vous vous lancez dans un nouveau roman ?
Cela commence toujours par une idée. En fait un sentiment fugace au début qui devient une idée par la suite pour se transformer en obsession. Ensuite vient la période du mûrissement pendant laquelle je laisse se développer l’histoire sans jamais prendre de notes. Cela peut durer plusieurs semaines. J’ai des périodes pendant lesquelles les idées viennent à moi plus facilement, le matin juste après le réveil, dans ma voiture en écoutant de la musique. Enfin lorsque je suis prêt, je couche sur le papier un plan qui tient en une ou deux pages (jamais plus) et je me lance.
10. Quelle est votre prochaine actualité (écriture, télévision) ? Quand sortira votre prochain livre ?
La sortie de mon Hard Boiled africain chez Denoël à la rentrée littéraire 2013 et la parution d’un petit roman noir intitulé « la petite morgue » pour lequel je n’ai pas encore de date. Il s’agit d’un hommage respectueux au maître du genre : le génial David Goodis. L’intrigue se déroule dans le Bronx dans les années cinquante.
En ce qui concerne la télévision, j’écris actuellement pour Canal+ une série télévisée avec le grand Olivier Marchal. Il s’agit d’anticipation policière basée sur la vision d’Olivier de ce que sera demain notre société : un univers sombre dans lequel les êtres humains devront reconquérir leur humanité.
11. Ce blog est fait de mots et de sons. La musique prend-elle une part dans votre processus créatif ?
Elle m’accompagne tout au long. Au moment où je réponds à vos questions, j’écoute Foals et Stereophonics.
12. Le mot de la fin ?
Une petite phrase de Céline, issue du voyage : « Invoquer sa postérité c’est faire un discours aux asticots ».
Le lien vers ma chronique du livre
Catégories :Interviews littéraires, Littérature
A chaque interview, j’ai envie de lire le livre… Mais je ne suis plus ! 😉